Dans un triste et vieux château d'Ecosse,
J'ai très bien vécu, puis je suis mort.
Mais, par malheur, la fée Carabosse,
Qui passait par là, vint me jeter un sort.
Depuis ce temps, comme une âme en peine,
Chaque nuit, je viens me promener
A travers les murs de mon domaine.
Je remue les chaînes lorsque je suis déchaîné.
Je suis le fantôme du manoir,
Invisible au jour, mais tous les soirs,
J'apparais en blanc sur un fond noir
Et je me fais voir.
Mais dans ce vieux château féodal,
Je ne pourrais vous faire aucun mal.
Je suis dans l'infini sidéral
Sur le plan astral.
J'ai le nez décharné et les yeux caverneux.
J' suis un squelette.
Sur mes côtes qui résonnent,
On joue du xylophone, des castagnettes.
Lorsque j'apparais à mes neveux,
Ils poussent des clameurs, s'arrachent les cheveux.
Mais les pauvres, ils ne se doutent pas que
J'ai bien plus peur qu'eux.
Lorsque l'on éteint les candélabres,
Je m' faufile derrière les paravents.
[Car malgré son petit air macabre,]
Je l'avoue, je suis toujours un bon vivant.
Parfois, je me glisse dans l'alcôve
Où dort l'héritière du château ;
Le baron s'effraie et puis se sauve.
Moi, sans hésiter, je prends sa place subito.
[Il est le fantôme du manoir.]
Et bientôt, du moins, j'en ai l'espoir,
Des petits fantômes vont m'échoir :
Vous pourrez les voir.
Et dans ce vieux château féodal,
Je serais moins seul, c'est plus normal.
Peut-être même aurais-je un rival.
Mais ça m'est égal.
[Car, la nuit, quand il est là tout seul,
Il s'ennuie dans son linceul.]
Je maigris, je décline, je m'étiole,
Je me mine, j'ai mauvaise mine.
Je veux égayer mon purgatoire
En frappant des coups dans les armoires.
J' veux pincer les joues de la p'tite bonne,
Chatouiller les pieds de la baronne.
Je suis le fantôme dont on parle tous les soirs
Dans le vieux manoir.