Batelier, mon ami, je sais que tout arrive
A qui garde l'espoir.
Ce sera le matin ou ce sera le soir
Mais je serai là, sur la rive.
Tu diras : «Mon mat'lot
A piqué la rougeole
En tirant sa bordée
Dans la rue Quincampoix.
J'ai plus qu'à m' saborder
Si j' mène pas mon pétrole
Là-bas, dans le Hainaut
Avant la fin du mois !»
Alors, dans la splendeur des cuivres
Et l'odeur du chêne ciré
Quand tu diras : "Veux-tu nous suivre ?»
C'est par oui que je répondrai
Et je me sentirai
Revivre !
Batelier, mon ami, nous remonterons la Seine
J'en serai tout ébloui
Et pour dire au revoir à mon île Saint-Louis
Je ferai chanter la sirène...
Île, qui, tant de fois
Tranquille et désuète
A cru partir d'ici
Sur l'air d'une chanson
Tu vois, c'est aujourd'hui
Ton ami «le poète»
Qui s'en va, mieux que toi
Vers d'autres horizons !
La route que j'avais suivie
S'est brisée net, là, sur ce quai,
Paris ne me fait plus envie.
On dira que c'est abdiquer
Non ! C'est ne pas manquer
Sa vie !
Mais, pour moi, batelier, tu serais en bisbille
Avec ton syndicat
Alors, pour en finir avec tous ces tracas
Tu m' donnerais la main de ta fille.
Elle a les yeux bleu clair,
Elle ignore les ruses,
Elle a des gestes doux,
Des seins fermes et ronds
Et, dans les moments où
L'on patiente aux écluses,
Je lui jouerais des airs
Sur un accordéon.
Mais tout cela n'est que rengaine
Qu'il est décent de refouler.
Croyez-moi, l'eau douce est malsaine
Il vaut mieux boire et se soûler
Que regarder couler
La Seine !